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Un jeu, une fourmi, une question

C’est officiel, Fourmi remporte la Pépite de la création numérique décernée à l’occasion du Salon du Livre et de la Presse jeunesse qui se tiendra à Montreuil du 28 novembre au 3 décembre prochain. Une application jeunesse encore inédite, tirée du très bel album papier du même nom d’Olivier Douzou, paru aux éditions du Rouergue. Du beau, du bon, c’est réjouissant !

 

 

 

 

En 2011, c’est l’application Un Jeu d’Hervé Tullet qui avait reçu cette distinction. Là encore, le prolongement d’un ouvrage papier enthousiasmant : Un Livre, sorti chez Bayard Jeunesse. Hervé Tullet comme Olivier Douzou, des incontournables de l’édition jeunesse, ainsi récompensés. C’est bien mérité. Et si vous vous souhaitez une présentation détaillée de ces applications, rendez visite à La Souris Grise ou à Declickids.

 

          

 

 

 

Une dernière chose : qu’il s’agisse de Fourmi ou de Un Livre / Un Jeu, est-ce bien l’application et non l’album qui a remporté le prix ? Sans l’existence préalable des albums papier, ces applications auraient-elles emporté l’adhésion du jury ?

 

 

Le livre numérique jeunesse : quels usages ? (3)

De l’éducation nouvelle à la nouvelle éducation ?

L’éducation nouvelle, courant pédagogique mis en pratique à partir du 19e siècle sur le plan international, est toujours d’actualité dans l’enseignement des apprentissages. Les pédagogies Freinet et Montessori sont utilisées dans de nombreuses écoles, même à la maison. Rendre l’enfant actif de sa formation, lui faire explorer ses centres d’intérêts, le sensibiliser aux matières intellectuelles autant qu’à celles plus manuelles ou artistiques participent à un enseignement complet.
Paul Faucher, le créateur du Père Castor, s’inscrit dans ce courant de l’éducation nouvelle au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le nom même de “Père Castor” se veut le symbole d’une démarche constructive ; ouvrir les enfants au monde, les emmener sur le “terrain”, mettre à leur disposition des ouvrages à découper, à construire – tels sont les premiers livres du Père Catsor, alors que nous n’en connaissons aujourd’hui que les albums. Paul Faucher participe ainsi à la naissance de la littérature jeunesse.
En effet, au début des années 1930, il existe peu, voire pas, de livres pour les enfants trop petits pour aller à l’école. La littérature est d’abord faite pour les grands, ceux qui savent lire. Et les textes contemporains sont rares ! La parution d’histoires à raconter, où les illustrations prennent une place aussi importante que le texte, est une révolution. La parution de L’histoire de de Babar le petit éléphant, date également de cette période (1931) : le grand format des albums, les illustrations rencontrent un très grand succès. Babar, comme les premiers albums du Père Castor, n’ont aujourd’hui rien perdu de leur notoriété.

Revenons à nos moutons. Il semble que le cœur de l’éducation nouvelle, telle que la prônait, entre autres, Paul Faucher, est l’activité au centre de laquelle se trouve l’enfant. L’exploration physique, sensorielle, et pas seulement intellectuelle, du monde qui l’entoure. Certaines applications interactives pour enfants ne participent-elles pas à cette démarche ? Elles captent son intérêt et permettent à l’enfant de lire, de toucher, d’écouter. Les applications issues de la méthode Montessori sont nombreuses (hasard ?) : la Dictée muette et le Son des lettres en sont deux exemples que vous pouvez tester. L’application 10 doigts de Marbotic, à découvrir sous peu, est prometteuse. On y retrouve la manipulation, l’approche sensorielle. L’accroche de Marbotic ? “Le monde au bout des Doigts !”
La tablette tactile peut se révéler être un outil pédagogique très utile, si tant est que le contenu suit… Et que l’enfant n’est pas passif, loin de là. Le vocabulaire a changé, l’éducation n’est plus active mais interactive ! Les tablettes tactiles ouvrent un champ très large de nouvelles expérimentations pédagogiques. Vont-elles devenir de véritables outils d’enseignement ? Il y a des chances. Allons-nous vers une nouvelle éducation ? Et vers quelle littérature jeunesse ?

“Le juste prix” ?

Combien dépensons-nous dans une libraire jeunesse lorsque nous achetons, ne serait-ce qu’un livre ? Pour un album illustré, grand format, relié avec couverture rigide, on compte rarement moins de 20 €. Avec une couverture souple, on descend autour des 15 €. Le même titre, réédité en petit format, passe à 5-6 € environ mais ce n’est plus le même produit. Difficile de parler d’album lorsque le texte et les illustrations sont réduites à un format souvent plus petit qu’un A5. Si l’on cherche un livre pour les bons lecteurs, offrant davantage de textes et, quand il y en a, des illustrations souvent en noir et blanc, les prix se tassent un peu. Un Harry Potter, format poche, revient quand même à 8 € euros minimum. La version brochée monte à 15 €. Enfin, pour un documentaire jeunesse assez fourni, il faut souvent compter 12 €, au moins. Si nous fréquentons les librairies jeunesse, nous acceptons de payer ces prix, et de bon gré lorsque l’ouvrage en vaut la peine. Et même si parfois, nous estimons que l’acquisition d’un livre peut se révéler assez coûteuse, qui peut se vanter de ressortir régulièrement et facilement d’une librairie sans avoir acheté un seul livre ? Pas moi.

Si l’on compare les prix de ces livres imprimés à ceux des livres numériques, la différence est singulièrement étonnante. L’intervalle entre le livre le plus onéreux et celui le moins cher se réduit considérablement. En arrondissant, il faut compter entre 1 et 4 € – 5 € grand maximum, pour l’acquisition d’une application jeunesse ou d’un ebook ! Exception faite aujourd’hui de L’Herbier des fées (Albin Michel) qui affiche un prix de 14,99 €. Existe-t-il un juste prix pour le livre numérique jeunesse ? Il n’est pas évident de répondre aujourd’hui à cette question : le catalogue offert n’est pas encore assez riche, les usages ne sont pas encore établis.
Que signifient donc les faibles prix affichés pour le numérique ? Que le coût de production se réduit considérablement lorsqu’il n’y a plus d’impression papier ? Il n’en faut pas moins rémunérer le ou les auteur(s), le(s) illustrateur(s), la création graphique, le(s) développeur(s) et l’éditeur lui-même qui, malgré la version numérique du produit n’en a pas moins un travail de chef d’orchestre, de coordination, de supervision, de correction. Les technologies innovantes, les facilités de publication, même si elles peuvent être positives pour certains usages, peuvent hélas laisser penser que s’auto-éditer est un jeu d’enfant, qu’écrire et que publier sont à la portée de tous. On en arrive rapidement à la conclusion que les éditeurs, comme les distributeurs (qu’ils soient libraires ou autres diffuseurs) ne sont plus des intermédiaires indispensables pour transmettre un livre et son contenu. Et que tout auteur peut s’auto-publier et trouver son public. Où sont les garde-fous de ce modèle ? Quelle critique, quelle qualité peuvent naître d’un tel système ?

Nous n’en sommes pas encore là, heureusement. En matière d’applications et d’ebooks jeunesse, les prescripteurs existent et sont peu à peu entendus : La souris grise, Applimini, Declickids, pour ne citer qu’eux. Si l’on se plonge dans les critiques émises et dans l’exploration des livres numériques pour enfant, on constate que le travail d’édition ne s’improvise pas. Les principaux éditeurs de livres imprimés, même s’ils n’offrent, pour la plupart, qu’une version numérisée plus ou moins enrichie de leur catalogue jeunesse, proposent des titres numériques qualitatifs, fidèles à l’image de leurs ouvrages imprimés. Les nouveaux arrivants, purement numériques, ne brillent pas tous par leur savoir-faire en terme de contenu. En revanche, ils osent parfois prendre d’autres risques, plus techniques. Quel équilibre sera trouvé entre les prouesses techniques et les contenus pour enfant ? La question reste ouverte pour l’instant.
Mais quel que soit le type d’édition numérique vers lequel nous nous dirigeons, pour qu’il soit de qualité, il doit être rémunéré à son juste prix. Les tarifs des livres numériques jeunesse sont très bas, sans doute trop bas pour rétribuer dignement ses créateurs. Il est habituellement établi que le bon prix d’un ebook serait 40 % moins cher que celui de sa version imprimée. Ce n’est pas le cas actuellement. Car sur cette base, un livre papier acheté 8 € (ce qui est déjà peu) dans une librairie jeunesse, serait à 4,8 € dans sa version numérique. Or, rares sont aujourd’hui les applications et les ebooks qui atteignent 5 €. Espérons que cette tendance évolue, que les prix trouvent un équilibre viable pour les acteurs du livre. Et que nous assistions à la naissance d’un modèle économique qui fera de l’édition numérique de demain, une édition riche de livres que nous voudrons transmettre.